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Soulever lourd : la clé pour maximiser les gains ?

Environ 4500 mots - Temps de lecture estimé : 23 minutes.

Il est souvent recommandé de s’entraîner avec des charges lourdes pour optimiser les gains de force et de masse musculaire. À priori, cette approche semble pertinente, car il est nécessaire de fournir un stimulus suffisamment important pour provoquer des adaptations structurelles, et le port de charges lourdes semble être l’un des moyens les plus efficaces pour y parvenir. Mais qu’en est-il réellement lorsque l’on passe ce paramètre sous la loupe de la science ?

Points clés

▪ Le continuum de répétitions actuel propose que différentes plages de répétitions optimisent les gains spécifiques de force (1-6 RM) et de masse musculaire (6-12 RM).

▪ Concernant les gains de force, les preuves actuelles soutiennent le continuum de répétitions et suggèrent que ces gains seraient optimaux à partir de 70% 1RM et plus.

▪ Des gains similaires de masse musculaire peuvent être obtenus avec une large gamme d’intensités et de répétitions, allant de 30% à 85% de la 1RM et de 5 à 50 répétitions, respectivement.

▪ La proximité de l’échec est une covariable qui impacte à la fois les gains de masse musculaire et de force. Cependant, des données exploratoires indiquent qu’il est probable que ces derniers soient moins affectés que pour l’hypertrophie. Autrement dit, travailler près de l’échec semble être plus important pour l’hypertrophie musculaire que pour l’augmentation de la force.

▪ Outre les considérations physiologiques, il est essentiel de prendre en compte les aspects pratiques lors du choix de vos intensités de travail.

Vers un continuum de répétitions revisité

Dans les années 1940, Thomas L. DeLorme publie les premiers travaux sur les effets de l’entraînement en résistance réalisé avec différentes charges et différents nombres de répétitions. Selon lui, les exercices effectués avec des charges lourdes et peu de répétitions augmentent la force et la puissance musculaire, tandis que ceux réalisés avec des charges légères et beaucoup de répétitions améliorent l’endurance musculaire. Il souligne que ces modalités d’entraînement ne peuvent pas provoquer d’autres types d’adaptations. En d’autres termes, les adaptations obtenues avec des charges lourdes ne peuvent pas être obtenues avec des charges légères, et vice versa (1). Plus tard, dès les années 1960, d’autres études viendront soutenir ces résultats.

La sélection des charges est une variable clé de l’entraînement en résistance pour augmenter efficacement la force et la masse musculaire dans diverses populations. En se basant sur le principe de taille de Henneman, qui stipule que les unités motrices sont recrutées des plus petites aux plus grandes, certaines études recommandent d’utiliser exclusivement des charges lourdes, tandis que d’autres préconisent une combinaison de charges légères et lourdes pour maximiser le recrutement des unités motrices lors de l’exercice.

De nos jours, les recommandations de charge sont généralement déterminées en fonction d’intervalles de répétitions. On suppose alors que les adaptations seraient spécifiques au nombre de répétitions effectuées. De ce fait, pour chaque objectif, il existerait une fourchette de répétitions à privilégier dans le but d’optimiser les gains (2). Par exemple, les gains de masse musculaire seraient optimisés en effectuant de 6 à 12 répétitions, tandis que les gains de force le seraient avec un nombre compris entre 1 et 6 répétitions (figure 1).

Figure 1. Continuum de répétitions actuel proposé pour maximiser le développement de différentes qualités physiques (force, puissance, hypertrophie, endurance musculaire) (2).

On constate ainsi l’apparition de la notion de continuum, absente dans les premiers travaux de DeLorme, qui met en évidence la continuité dans le développement des différentes qualités physiques ciblées en fonction du nombre de répétitions. On retrouve notamment cette idée dans une étude de 1982, où les auteurs ont observé des gains significatifs de la force maximale et de l’endurance musculaire chez des groupes d’individus ayant cherché à développer l’une ou l’autre de ces qualités physiques (3). Toutefois, des études plus récentes remettent en question plusieurs aspects de ce continuum. Étant donné la complexité du sujet, cet article se concentrera principalement sur les gains de force et de masse musculaire, deux paramètres déterminants dans le contexte de la force athlétique.

Force et hypertrophie : deux objectifs différents ?

Dans la première partie, nous avons principalement évoqué le nombre de répétitions, qui est en réalité un moyen indirect de définir l’intensité absolue (l’intensité de la charge). Cette intensité est généralement exprimée en pourcentage de la charge maximale que l’on peut soulever pour une seule répétition (%1RM) et peut être associée à un nombre de répétitions. Par exemple, il est communément admis qu’on peut réaliser environ 3 répétitions à 92% de notre 1RM. C’est donc ce pourcentage qui détermine la charge de travail.

Intensité pour maximiser les gains de force

La force peut être définie comme la capacité d’un muscle à se contracter pour lutter contre une résistance externe ou produire un mouvement. Elle peut être évaluée avec des tests de force isométrique (où la contraction musculaire se fait sans changement de longueur du muscle) ou isocinétique (où la contraction musculaire se fait à vitesse constante à l’aide d’une résistance variable) mais l’approche la plus courante consiste à réaliser des tests de RM sur un ou plusieurs mouvements. Les tests de 1RM, étant les plus fréquemment utilisés, permettent de quantifier la force maximale.

Les méta-analyses basées sur ces critères indiquent une tendance assez claire en faveur de l’entraînement avec des charges lourdes, les charges plus élevées étant associées à des gains de force plus importants (4).

L’une des plus citées à ce sujet est celle de Schoenfeld et al. publiée en 2017, qui a inclus 14 études. Les résultats indiquent une taille d’effet modérée à grande en faveur de l’entraînement avec des charges élevées (> 60% 1RM) par rapport à des charges faibles (≤ 60% 1RM) pour les mesures de force maximale, avec une différence équivalente à environ 0,58 écart-type (figure 2A). Concernant les gains de force isométrique, 8 études ont été incluses dans l’analyse, mais celle-ci n’a pas révélé de différence significative entre l’utilisation de charges élevées et légères (SMD = 0,16 ; IC 95% : -0,10 à 0,41). Cela pourrait s’expliquer par le manque de spécificité des tests isométriques par rapport aux mouvements dynamiques réalisés lors des protocoles d’entraînement (5).

Plus récemment, dans une méta-analyse en réseau de Lopez et al. (2021), des résultats similaires ont été obtenus en combinant les données de 23 études. En plus des travaux comparant l’utilisation de charges lourdes (≥ 80% 1RM) et légères (< 60% 1RM), les auteurs ont également inclus des essais comparant des charges légères et modérées (60% à 79% 1RM), ainsi que des charges modérées et lourdes, afin d’analyser les variations de la 1RM entre ces différentes catégories. De nouveau, les analyses révèlent que l’entraînement avec des charges élevées (SMD = 0,51 ; IC à 95% : 0,35 à 0,67) et avec des charges modérées (SMD = 0,34 ; IC à 95% : 0,14 à 0,54) entraînent des effets plus importants sur la force musculaire par rapport à l’entraînement avec des charges légères. Un effet trivial et non significatif en faveur des charges élevées a été observé comparé à l’entraînement avec des charges modérées (SMD = 0,16 ; IC à 95% : -0,05 à 0,38). Il est intéressant de noter que même lorsque les auteurs ont recalculé les tailles d’effets en excluant les études jugées de faible qualité (avec l’outil RoB 2), les tailles d’effet sont restées identiques (6,20).

Figure 2. A) Graphique en forêt des études comparant les changements de 1RM entre l’entraînement avec des charges lourdes et des charges légères (5). B) Modélisation montrant la relation entre les gains de force et l’intensité (7).

Plus récemment encore, Swinton et al. (2024) ont réalisé une méta-régression dans laquelle ils ont modélisé la relation entre l’intensité de la charge et les tailles d’effet observées dans différentes études. Celle-ci indique que plus l’intensité est élevée, plus les gains de force le sont également, même si la relation n’est pas parfaitement linéaire. En effet, les auteurs notent un point d’inflexion de la courbe autour de 70% de la 1RM, ce qui signifie qu’au-delà de ce seuil, les gains de force commencent à ralentir légèrement (figure 2B). Toutefois, ces résultats ne sont pas spécifiques aux changements de force maximale, car les auteurs ont pris en compte toutes les études évaluant la production de force dans plusieurs conditions (tests de 1 à 6 RM, tests de force isométrique, etc.) (7).

En bref, bien que la littérature puisse fournir des preuves suggérant que l’entraînement à l’échec avec des charges légères produit des gains substantiels de force maximale, et ce, indépendamment du niveau des pratiquants (8,9,10), il semble que ces gains soient optimaux avec des charges plus lourdes (70-80% de la 1RM et plus) et qu’ils suivent une relation dose-réponse. Quant aux autres modes de contraction (isométrique et isocinétique), les données disponibles ne permettent pas de conclure. La question est de savoir si cela a des implications pratiques importantes puisque généralement les tests de ces modalités mesurent la force d’une seule articulation, ce qui n’est pas vraiment le cas dans la plupart des activités sportives, ou la production de force est dynamique et implique généralement plusieurs articulations.

Il est important de mentionner que la majorité, si ce n’est la totalité, des études incluses dans les méta-analyses citées ici utilisent des protocoles où les séries sont réalisées jusqu’à l’échec, probablement afin de standardiser ces dernières. Or, il est possible que, pour une même charge, les gains de force maximale ne soient pas affectés par la proximité de l’échec (11), ce qui signifie que l’on aurait pu espérer des gains différents si ce paramètre avait été modifié. En pratique, il est courant de s’entraîner avec différentes proximités de l’échec et de constater des résultats variables. Il est également possible de faire évoluer ce paramètre au cours d’un même cycle d’entraînement, ce qui peut limiter la validité écologique des résultats de ces méta-analyses, c’est-à-dire la mesure dans laquelle ils sont applicables en conditions réelles. Ce qu’il faut retenir, c’est que la proximité de l’échec a potentiellement un impact moins important sur les gains de force que ce que l’on aurait pu penser.

In fine, la littérature soutient l’existence d’une plage de répétitions optimale pour maximiser les gains de force, ce qui est en accord avec le continuum de répétitions mais aussi avec le principe de spécificité. En effet, ce dernier implique que les gains de force sont spécifiques, ici en l’occurrence, au nombre de répétitions effectuées. Ainsi, si l’on souhaite augmenter sa force maximale, l’approche la plus directe est de pratiquer le test, c’est-à-dire de s’entraîner spécifiquement pour le test, en réalisant régulièrement des efforts maximaux (1RM). À ce propos, des études ont déjà démontré que la pratique régulière de 1RM produisait des changements de force similaires à ceux observés avec des charges plus faibles et des volumes plus élevés, tant chez les pratiquants expérimentés que chez les débutants (12,13). En fait, pratiquer régulièrement le test impacte nécessairement les résultats obtenus, au point que si l’on cesse de le pratiquer ou que l’on mesure la force de manière non spécifique, la différence de force maximale induite par l’entraînement entre les charges lourdes et légères diminue. Cela suggère qu’une partie des différences de force est liée à la pratique spécifique (14). Cela dit, ce n’est pas une stratégie que nous recommandons pour la majorité des pratiquants de force athlétique, qui doivent gérer la progression à long terme de plusieurs mouvements à la fois. Sans compter que les volumes d’entraînement sont généralement plus élevés que ceux réalisés dans ces études, et les problématiques rencontrées sont bien souvent différentes.

Intensité pour maximiser les gains de masse musculaire

Les gains de masse musculaire ont longtemps été associés à un intervalle de 8 à 12 répétitions réalisées à l’échec (environ 75-80% 1RM). Une part de l’explication est probablement culturelle, les bodybuilders ayant longtemps recommandé cette approche. De toute évidence, si l’on se limite uniquement à ce format et que l’on obtient des résultats, on pourrait rapidement conclure que c’est l’approche optimale, sans même avoir exploré d’autres options. Notre analyse se retrouve alors naturellement biaisée dans ce sens.

De manière générale, les données issues de la littérature scientifique ne montrent pas d’impact significatif de l’intensité de la charge sur les gains de masse musculaire, et ce de manière plutôt récurrente (4,6).

Une méta-analyse de 10 études issue des travaux de Schoenfeld et al. mentionnés précédemment n’a pas révélé d’effet significatif de la charge d’entraînement (charges faibles vs élevées) sur l’hypertrophie musculaire (SMD = 0,03 ; IC 95% : -0,16 à 0,22), avec des résultats plutôt robustes puisque la différence de taille d’effet est triviale et les intervalles de confiance sont relativement étroits (5).

En ce qui concerne Lopez et collaborateurs, une autre méta-analyse incluant 24 études, a été réalisée pour évaluer l’effet des différentes charges sur les gains de masse musculaire. Ils n’ont trouvé aucune différence significative dans l’hypertrophie musculaire entre l’entraînement avec charges élevées et faibles, charges modérées et faibles, ou charges élevées et modérées (voir figure 3). Encore une fois, même lorsque les tailles d’effets sont recalculées en ne retenant que les études de haute qualité, les résultats ne sont pas impactés. Seuls les intervalles de confiance et les degrés de significativité sont affectés, ce qui diminue légèrement la précision et la confiance dans les données (6).

Figure 3. Graphiques en forêt des études comparant les effets de l’entraînement avec des charges faibles, modérées et élevées effectuées jusqu’à l’échec volontaire sur les gains de masse musculaire (6).

Une étude particulièrement intéressante de Lasevicius et al. (2018), incluant 30 hommes et réalisée sur 12 semaines, a montré que l’entraînement en résistance avec une intensité variant de 20% à 80% de la 1RM est efficace pour augmenter l’hypertrophie musculaire du vaste latéral et des fléchisseurs du coude, et ce, pour des tonnages identiques. Cependant, les gains réalisés avec l’entraînement à faible intensité (20% 1RM) étaient moins importants que pour toutes les autres intensités (40%, 60% et 80% 1RM), avec une différence significative entre les conditions à 20% et 80% de la 1RM. La standardisation du volume d’entraînement par le tonnage résulte globalement en un plus grand nombre de séries (1 à 2 en moyenne) pour les charges les plus légères, ce qui peut constituer un biais (10). Lorsque la quantification du volume d’entraînement se fait par le biais du nombre de séries, les résultats sont plus divergents. Par exemple, dans une étude où 19 participants entraînés ont réalisé un volume identique, une large différence d’hypertrophie dans le vaste latéral a été observée en faveur de l’entraînement avec charges modérées vs charges lourdes (8-12 RM vs 2-4 RM ; ES = 1,17 vs 0,33). Aucune différence n’a été constatée pour les fléchisseurs du coude (15). À l’inverse, dans une autre étude portant sur 18 jeunes hommes non entraînés, la réalisation de 3 séries à l’échec avec 80% de la 1RM n’a pas produit de gains musculaires supérieurs à ceux obtenus avec 3 séries à 30% 1RM. En revanche, la réalisation d’une seule série à 80% 1RM n’a permis d’obtenir que la moitié des gains observés dans le muscle quadriceps par rapport aux deux autres conditions (9). Des résultats similaires ont été rapportés chez des jeunes femmes non sportives avec la réalisation de 2 séries hebdomadaires à 30% ou 80% 1RM (24). Cela illustre l’importance de la méthode de quantification du volume et nous rappelle au passage que l’intensité de la charge n’est peut-être pas le facteur le plus important pour augmenter la masse musculaire, ou du moins qu’il n’est pas le seul.

D’autres lignes de preuves ont été rapportées concernant l’entraînement avec occlusion sanguine, plus connu sous l’appellation BFR (Blood Flow Restriction). Cette méthode consiste à limiter l’afflux sanguin dans la zone travaillée à l’aide d’un dispositif d’occlusion plus ou moins serré (bande d’occlusion, élastique, manchon pneumatique, etc.). En effet, plusieurs méta-analyses ont mis en évidence l’efficacité de l’entraînement avec BFR pour augmenter la force et la masse musculaire chez différents types de populations, comme les jeunes en bonne santé, les personnes âgées ou les personnes en réhabilitation après une blessure (21). Une étude de 12 semaines menée sur 26 individus sédentaires par Lixandrão et al. (2015) a montré que l’entraînement avec occlusion était efficace pour augmenter la masse musculaire avec des intensités de 20% et 40% de la 1RM et avec des pressions d’occlusion différentes (40% et 80% de pression). On ne sait pas si les séries étaient poussées jusqu’à l’échec, car cela n’est jamais mentionné. En revanche, d’après le nombre de répétitions réalisées par série (10 à 15), on peut, sans prendre trop de risques, supposer que ce n’était pas le cas pour les séries légères. Une condition contrôle, où les participants effectuaient un entraînement traditionnel avec des charges lourdes (80% 1RM), a également été intégrée à l’étude. Les auteurs ne constatent pas de différence dans les mesures d’hypertrophie du quadriceps (mesurée par IRM) entre cette condition et les participants des conditions BFR qui s’étaient entraînés à 40% de la 1RM avec 40 et 80% de pression d’occlusion (5,9% vs 4,45% vs 5,3%, respectivement). Quant à l’occlusion avec 20% de la 1RM, elle n’a pas fait mieux que l’entraînement classique, probablement parce que cette valeur se situe dans la limite inférieure du spectre de l’intensité, à partir de laquelle les gains observés sont généralement moins importants (22). Encore une fois, l’entraînement à faible intensité a donné des résultats comparables à ceux obtenus avec l’entraînement à haute intensité. Mais cela n’est pas toujours le cas, comme le montre cette autre étude de Buckner et al. (2019), qui a comparé l’entraînement à faible intensité avec et sans occlusion (15% 1RM) à l’entraînement classique à intensité modérée (70% 1RM). Globalement, l’entraînement à plus haute intensité a produit des gains plus importants dans les fléchisseurs du bras que l’entraînement à faible intensité, avec ou sans occlusion. Mis à part quelques limitations (temps de repos et proximité de l’échec différents) qui peuvent expliquer les résultats, on se retrouve encore une fois dans un cas où la condition faibles charges se trouve dans la tranche inférieure du spectre de l’intensité (23). Néanmoins, cette méthode présente des inconvénients, dont certains sont succinctement évoqués dans cette vidéo.

Dans l’ensemble, on constate une hypertrophie relativement similaire lorsque l’intensité se situe entre 30% et 85% de la 1RM, ce qui permet de réaliser environ 5 à 50 répétitions à l’échec d’après les dernières estimations (19). Il semble que dans cet intervalle, la magnitude de la charge n’influence pas nécessairement les gains de masse musculaire, quel que soit le niveau d’entraînement ou le muscle travaillé, à condition que les séries soient poussées à l’échec. Les séries effectuées avec 100% de la 1RM pourraient offrir un stimulus très intéressant pour chaque répétition réalisée, mais comme elles ne permettent qu’une seule répétition par série, elles sont moins avantageuses que des séries plus longues avec une charge inférieure (16).

La proximité de l'échec : un facteur déterminant ?

Comme évoqué précédemment, la grande majorité des études sur le sujet ont été réalisées avec des séries à l’échec, ce qui rend difficile l’extrapolation des résultats à la pratique d’autres niveaux de proximité de l’échec. On est donc en droit de se demander si la proximité de l’échec n’est pas une covariable importante qui pourrait modérer les effets de l’intensité sur la prise de masse musculaire. Cela pourrait expliquer, du moins en partie, pourquoi la charge a un impact limité sur l’hypertrophie musculaire.

Premièrement, il est important de faire la distinction entre l’échec volontaire et l’échec momentané, qui sont des termes souvent rencontrés dans la littérature scientifique en musculation. L’échec volontaire implique une décision consciente d’arrêter une série en raison de l’incapacité perçue à effectuer une répétition supplémentaire. En revanche, l’échec momentané survient lorsque le muscle ne peut plus produire suffisamment de force pour compléter une répétition supplémentaire. Il ne résulte pas d’une décision consciente, mais de l’accumulation de fatigue au cours de la série. Un problème récurrent dans les études en sciences du sport est le manque de standardisation de ce paramètre. Par exemple, dans les études citées plus haut, certains participants devaient atteindre l’échec volontaire (9,10), tandis que d’autres avaient recours à l’échec momentané (8,15). Comme nous l’avons vu dans un autre article, la précision de l’estimation du nombre de RER peut être impactée par le nombre de répétitions d’une série : plus ce nombre est élevé, plus des erreurs d’estimation sont susceptibles de se produire. C’est pourquoi l’utilisation de l’échec volontaire peut constituer un biais méthodologique important. En effet, demander aux participants de s’arrêter uniquement lorsqu’ils pensent être à l’échec peut les conduire à mettre fin à une série alors qu’ils sont encore à plusieurs répétitions de l’échec, d’autant plus lorsqu’il s’agit de séries longues.

En tenant compte de cela, une étude de 2019 a évalué les effets de l’entraînement avec des charges faibles (30% 1RM) par rapport à des charges lourdes (80% 1RM) sur l’hypertrophie du muscle quadriceps (évaluée par IRM), tout en faisant varier la proximité de l’échec. Lorsque les séries à charge légère étaient réalisées à l’échec volontaire, elles ont produit un effet trois fois plus important que lorsqu’elles étaient effectuées loin de l’échec (ES = 0,45 vs 0,15). Cela représente un gain moyen supplémentaire de 5 points de pourcentage (7,8% vs 2,8%) en faveur des séries poussées à l’échec. Concernant les charges lourdes, la proximité de l’échec n’a eu aucun impact (17). Cela souligne l’importance de l’intensité de l’effort (nombre de RER) pour la prise de masse musculaire, en particulier pour les séries longues avec des charges légères. Selon moi, le fait que les séries aient été réalisées jusqu’à l’échec volontaire et non momentané n’affecte pas les résultats, car les séries réalisées loin de l’échec comportaient environ deux fois moins de répétitions que celles poussées jusqu’à l’échec (20 vs 35 répétitions pour les charges légères et 7 vs 13 répétitions pour les charges lourdes). La probabilité que la proximité de l’échec ait en réalité été identique dans les différentes conditions est donc nulle : on compare au moins des séries éloignées de l’échec à des séries plus proches de celui-ci.

Figure 4. Méta-régression linéaire pour estimer l’effet de la proximité de l’échec sur l’hypertrophie musculaire (11).

Dans une étude récente où des méta-régressions exploratoires ont été réalisées pour quantifier l’impact de la proximité de l’échec sur l’hypertrophie musculaire, les analyses révèlent qu’un faible nombre de RER est associé à des gains plus importants. En d’autres termes, plus on se rapproche de l’échec, plus le stimulus serait élevé (figure 4) (11). Cependant, ces données ne sont qu’exploratoires, et comme l’a déjà souligné Benjamin en story Instagram, la dispersion des points autour de la droite de régression est assez élevée, et la véritable question reste de savoir jusqu’à quel nombre de RER il est encore possible d’obtenir des gains intéressants. De plus, des interrogations subsistent sur les éventuels effets négatifs de l’entraînement à l’échec sur la fatigue neuromusculaire, qu’elle soit aiguë ou longitudinale, mais cela dépasse le cadre de cet article.

D’autres aspects comme les facteurs psychologiques sont également à considérer. En effet, il y a un risque non négligeable que des séries soient interrompues assez loin de l’échec en raison de la perception de l’effort et de l’inconfort lié aux séries longues avec des charges légères. Par exemple, une étude menée sur 12 individus entraînés en musculation a révélé que ceux qui réalisaient des séries longues avec des charges faibles (25-30 RM) ressentaient un inconfort plus important que ceux faisant des séries plus courtes avec des charges modérées (8-12 RM). De plus, le plaisir à l’entraînement était moins élevé dans le premier groupe, et les sessions étaient perçues comme plus exigeantes. D’un point de vue pratique, l’utilisation de charges modérées peut favoriser une meilleure adhésion et motivation aux protocoles d’entraînement en résistance (18).

Applications pratiques et discussion

Finalement, le fait que des gains de masse musculaire similaires puissent être obtenus avec une fourchette aussi large que 5 à 50 répétitions est une bonne nouvelle. Cela permet de varier les stimuli et de bénéficier d’options viables pour répondre à différents besoins. L’un des plus mentionnés est la gestion des douleurs et le retour à l’entraînement post-blessure, qui peuvent être facilités par le travail avec des charges légères.

Dans son article sur le sujet, Greg Nuckols écrit :

Plutôt que de vous demander : “Cette plage de répétitions est-elle physiologiquement supérieure à une autre ?”, il serait préférable de vous demander : “Qu’est-ce qui me permet de réaliser le plus grand nombre de séries de qualité lors de chaque séance et chaque semaine d’entraînement ?”

On passe alors des considérations physiologiques initiales à des considérations plutôt orientées vers la pratique et ses contraintes. Par exemple, certains exercices sont moins appropriés que d’autres pour la réalisation de séries longues. On peut citer le squat ou le soulevé de terre, pour lesquels il peut être très difficile de dépasser les 12-15 répétitions sans que l’exécution technique ne soit compromise.

Figure 5. Exemple de protocoles d’entraînement avec double progression planifié sur plusieurs blocs. RIR = Répétition(s) en réserve ; S1 = Semaine 1 ; S2 = Semaine 2 ; S3 = Semaine 3.

Cela offre également davantage de possibilités pour la programmation. Une méthode que l’on utilise fréquemment dans nos suivis consiste à faire évoluer le nombre de répétitions (et donc l’intensité) au fil des blocs d’entraînement. C’est une sorte d’approche avec double progression, où l’on commence par augmenter le nombre de répétitions, puis la charge de travail, avant de passer à la plage de répétitions inférieure lors du cycle suivant. Là où, avec une double progression classique, on recommence un cycle avec la même fourchette de répétitions et une charge plus élevée, ici, on augmente la charge de manière plus importante et on diminue le nombre de répétitions (figure 5). Cette approche permet d’exploiter diverses fourchettes de répétitions tout en créant une dynamique de progression simple. Nous la recommandons principalement pour les exercices axés sur le développement de la masse musculaire.

À ce stade, il est nécessaire de rappeler l’un des enjeux de la programmation en powerlifting : la création d’un élan, d’un momentum. L’idée est d’amener progressivement l’athlète à performer dans les meilleures conditions. Cela peut parfois conduire à s’éloigner de ce qui est optimal sur le papier pour y revenir plus tard ; on raisonne alors en termes de séquençage des blocs. C’est pourquoi, lorsque vous devez paramétrer une variable, il faut se demander en quoi ce choix contribue à la dynamique globale de progression que vous voulez instaurer. Typiquement, certains profils bénéficient de commencer le premier bloc d’un macrocycle par des séries longues et/ou plus légères sur les mouvements de compétition, tandis que d’autres adoptent une approche plus polarisée, où ils s’entraînent avec plusieurs intensités au sein d’un même bloc, et ce, durant une majeure partie de l’année.

Le but de cet article n’est pas de dire que vous devez nécessairement vous entraîner avec une intensité en particulier, d’autant plus que l’on sait que pour un même pourcentage de 1RM, le nombre de répétitions peut varier considérablement d’un individu à l’autre en raison de l’exercice, du mode de contraction, etc. (19). Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est possible de progresser avec un large éventail d’intensités et de nombres de répétitions, encore plus quand il s’agit d’hypertrophie musculaire.

L’individualisation reste la pierre angulaire de toute intervention, et les données scientifiques indiquent simplement un cap à suivre, en aucun cas une destination.

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  24. Stefanaki DGA, Dzulkarnain A, Gray SR. Comparing the effects of low and high load resistance exercise to failure on adaptive responses to resistance exercise in young women. J Sports Sci. (2019).

À propos de l’auteur

David Lourenco

David Lourenco

David est un pratiquant de force athlétique ayant débuté avec la musculation en 2013. Il s’intéresse aux sports de force dès 2015 en parallèle de son passage en STAPS à l’Université de Corte – Pasquale Paoli et se consacre à la force athlétique depuis 2017. Il a participé à différentes compétitions dont les championnats de France Junior en 2019.

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